La musique
Le bleu vibre sur le vert. C’est toujours ainsi quand un prélude à la française résonne à la viole, le bleu vibre sur le vert. Jamais l’inverse, jamais le vert sur le bleu. Ça, Sire l’a compris en écoutant Elisabeth Matiffa jouer un prélude de Marin Marais. C’est pourquoi le bleu de sa robe, lui aussi, l’emporte sur le vert. Il s’impose, il domine. Parce que le bleu c’est le ciel, c’est l’infini de l’espace interstellaire, comme la viole, cet instrument qui prend ses sons dans le fond des abysses et les emmène au-delà de la lune. Une viole sonne bleue, toujours, comme un jour d’été, comme un jour d’hiver sans nuage, un jour d’automne caniculaire, un jour de printemps prometteur. Même si elle est de couleur bois, la viole sonne bleue. Monsieur de Sainte Colombe composait bleu, Forqueray, Tobias Hume, Diego Ortiz, William Byrd et tant d’autres composaient bleu. Et les cinq personnages en arc autour de la gambiste, qui, par déférence à l’égard de la musicienne ne portent de bleu que leurs sous-vêtements, chantent à l’unisson un si bémol, la note bleue par excellence. Juste une petite note à la clarté contemporaine, à la fragilité du Sèvres, un peu pervenche, un peu pastel.
Une gamme à la viole de gambe, c’est un chromatisme bleu, la couleur la plus précieuse, la plus difficile à trouver, la plus rare. Dans le grave, sur la première corde, rond et chaud, on reconnaît facilement l’azurite. Un ton plus haut, le bleu d’Alexandrie, puis l’indigo. Viennent ensuite le cobalt, le smalt, le bleu de Prusse et le céruléum. Un peu plus aigu, le bleu de phtalocyaline et, quand le musicien est digne de ses maîtres, le bleu Klein, essentiellement monocorde.
Le tableau de Sire nous fait entendre précisément le bleu de Métylène, avec une petite variation en forme de blues dont la modulation en bleu de bromothymol laisse pantois les mélomanes les plus blasés. Et chacun remarquera la petite touche de bleu Dauvergne, si versaillaise.