Critiques et témoignages
Il y a dans la peinture de Jean-Bertrand Sire des périodes comme celle des rivages, ou celle des fenêtres, que l'on pourrait qualifier de périodes du silence. Je contemple cette toile où des volets verts s'entrouvent sur l'obscurité d'une chambre, des taches de lumière tremblent imperceptiblement à la surface rugueuse des pierres; je commence à percevoir une rumeur, cette rumeur grandit, c'est le bourdonnement de l'été. La surface tranquille de ces toiles silencieuses entretien une affinité avec le bruit : peinture bruissante où le regard puise une musique secrète en silence. Le geste s'efface de la toile, le grain devient plus lisse. La peinture tend vers l'immobilité. Mais bientôt commence à réapparaître un peu de cette matière qui appelle le toucher. La violence du geste à nouveau laisse sa trace. La période des fenêtres se termine. Les clameurs de la musique instrumentale et vocale saisissent le mouvement du pinceau, projettent sur la toile la stridence de couleurs discordantes : couleurs aveuglantes, couleurs émétiques, couleurs sanglantes. Le bambou taillé trempé d'encre de Chine couvre le blanc du papier d'une partition calligraphique : bruit de crissement, rapidité halletante. La vitesse entraîne le geste au-delà de l'intention expressive, là où la forme picturale et la forme musicale pourraient se renconter.
Patrick Miller 1984
Le mouvement, qui exprime et crée le son, le mouvement exprimé par le geste, le trait, et voilà cet art immobile et muet qu'est la peinture, le dessin, qui suggère et re-présente
la Musique, les musiciens
Il faut avoir dessiné mille fois les mêmes gestes musicaux - comme dans une signature où le nom mille fois écrit et déformé devient de plus en plus vrai - pour arriver à ces traits si vrais-semblables! alors qu'ils s'éloignent ( en apparence ) de la re-semblance. Fascinante oeuvre qui fixe l'insaisissable. Il faut aimer et comprendre, comme Jean-Bertrand Sire, l'art des sons pour réussir ces fulgurantes visions.
Xavier Darasse 1988
Un parcours dans la peinture avec Jean Sire
La rencontre avec Jean Sire date de 1969 lors d'un premier stage à Serrières organisé par Jeunesse et Sports sur le thème "Lamartine et la vigne". Jean nous a fait découvrir le chemin des vignes, Lamartine et les églises romanes de la région. Jean m'interessait dans sa démarche, sa réflexion donnée généreusement qui menait à la recherche de soi-même. Grâce à lui je suis entré dans un univers inconnu pour moi : le dessin, la peinture, la sculpture, la lecture, l'histoire de l'art, la philosophie et surtout dans un engagement permanent et global face à un monde qui était entrain de s'agrandir. celà a été déterminant pour ma vie personnelle et professionnelle. depuis 1969, le chemin a été long et parfois douloureux mais toujours avec la petite lumière au bout qui fait qu'on continue. c'est bien là une formule de Jean " qu'est-ce qu'on fait maintenant ? " il nous répondait " on continue ! " L'investissement dans la peinture a grandi avec Jean Sire lors des stages à l'INEP ( Institut National d'Education Populaire ) et aussi à l'Arbresle, à la montagne Sainte victoire, à Tignes en complète immersion dans le paysage. " On devrait toujours peindre en style d'esquisse" nous répétait jean sans cesse. L'éponge sèche commençait à se gonfler.
Au cours d'un voyage à Venise ayant pour thème : Carpaccio, tentation de l'Orient, voyage au septentrion " d'autres domaines sont abordés par Jean Sire comme la musique, la photographie, le théâtre et l'architecture. Là encore Jean révèle ses talents de pédagogue et nous donne l'envie et la curiosité d'aller plus loin.
A partir de toutes ces expériences avec Jean, celà m'a permis de passer d'élève à compagnon. Comment ne pas partager ce que Jean dit : " Bien entendu, j'entends par voir tout ce qui est non seulement du domaine de l'oeil mais aussi surtout ce qui nous aide à percevoir, c'est à dire l'ensemble " On comprend encore mieux, quand Jean est à la préparation du cassoulet....et pas n'importe lequel !
Le 30.11.2012 Jean-François Minois
..... Sire donc, agit comme Gérard Schlosser qui m'avouait un jour : "je n'ai pas d'imagination, je peins ce que je vois, ma femme, mes gosses et moi quand nous allons le week-end à la campagne au "vert". Que voit Schlosser? Sa femme étendue dans l'herbe, ou plutôt la cuisse de sa femme, les enfants qui farfouillent dans la bagnole à la recherche de sandwiches variés.
Que voit Sire? Il voit Auxerre. Auxerre, les vieux quartiers aux rues biscornues, étroites, chaudes, même sous la petite averse d'Avril. Il voit les façades, les murs nus, les confessionnaux, les vitraux de la cathédrale, l'abbaye. Il voit des géométries, des bibles, des fables, des noces de lumière. Une lumière qui éventre sa rétine, submerge l'âme et le coeur, incendie les veines, fait grésiller la peau, tendre les muscles, ô gymnastique salubre de la peinture. il voit, aussi et surtout, des fenêtres. C'est quoi une fenêtre? Un rectangle découpé qui ouvre sur quoi? Du plein ou du vide? De l'absence ou de la présence? Du réel ou du fantasme? Sur tout celà à la fois. La fenêtre est écran, elle est parole et mutisme, ouverture et fermeture, appropriation possible du monde, et, dans le même moment, refus hautain de cette possible appropriation. La fenêtre est blessure fondamentale, parallèle à celui qui la contemple, fasciné. Elle offre et interdit. Elle a toujours le dernier mot. Mais elle pose crûment la question du visible-non visible. Elle autorise l'invention du réel dans la mesure ou elle semble le nier. Derrière chaque fenêtre de Sire, aux ocres presque froids, soudain traversés par la stridence d'un rouge, d'un vert, il n'y a personne _ du néant, de la peluche morte de respirations _ et, en même temps, il y a tout un sang chaud, une exubérance de chairs bruyantes et heureuses.
Les photos à partir desquelles Sire travaille, dans le calme de son attachant atelier de la rue des Lombards, ne sont pas des obstacles à son geste créateur. Au contraire, elles relancent la fièvre primitive. Acharné à restituer une forme, une lumière que l'oeil n'aurait su vraiment déchiffrer, mais que l'oeil magique du Nikkormat n'a pas raté, Sire, tel l'alchimiste, transforme la matière physique en matière spirituelle. Il délivre les pierres d'Auxerre du linceul d'abandon dans lequel elles se mouraient. Ce faisant, il livre à la vue de tous, une beauté que nous côtoyons la plupart du temps sans la déceler. Il entretient le seul mystère qui vaille, celui du réel. De chaque fenêtre, comme hier de chaque "idole" au bord de la mer, il fait le foyer central où viennent se briser mélodieusement les rayons de la sérénité et de l'inquiétude, de l'attente et de la paix.
Si quelqu'un devait apparaître aux fenêtres de Sire, ce ne pourrait être que nous-mêmes, transfigurés, lavés de tout péché, libérés de la faute. Vainqueurs, enfin, de la Séparation, de la Coupure.
André LAUDE 1977 ( In mémoriam )